mercredi 25 septembre 2013

ELOGE DU CDT DENOIX DE SAINT MARC PAR SA FILLE AINEE.

Cathédrale St Jean, Lyon le 30 août 2013

Mon cher petit papa,
Pour tous ceux qui sont ici tu es indéniablement un grand homme. Pour  
nous, tes quatre filles, tu es et tu resteras notre cher petit Papa.  
Je vois ton sourire taquin et ton œil s'allumer, mais nous tes filles  
ne sommes pas là pour glorifier tes faits d'armes. Tes compagnons  
d'arme sont bien plus habilités à le faire. Et nous remercions tous  
ceux, certains au prix d'une organisation chaotique, qui sont venus  
aujourd'hui te rendre un dernier hommage. Tous ces frères d'armes,  
vivants ou ombres disparues, ont bercé notre enfance puis notre vie  
entière. Nous en croisions les sourires, les chagrins, les drames ou  
les espoirs, au détour des couloirs de la prison de Tulle, de Lyon  
puis des Borias.
 
Les Borias, tu as tant aimé cette bâtisse de pierres dorées accrochées  
à la garrigue, ton djebel provençal battu par le mistral, ton  
monastère invisible où tu as passé de si longues heures à saluer le  
lever de lune, à contempler la tour de Clansayes du haut de laquelle  
la Vierge Marie, sentinelle éternelle, veille sur le Tricastin. Les  
Borias, dernier repaire d'anciens légionnaires, qui débarquaient sans  
crier gare, pour saluer leur commandant. Ils ont dressé pour nous  
cette stature d'officiers que nous avons peu à peu apprivoisée, puis  
admirée et comprise. Mais bien sûr, dans notre cœur, tu es avant tout  
ce papa plein de tendresse et d'attention qui nous a toujours  
accompagnées sans faillir. Même aux jours les plus noirs de la prison,  
tu étais présent, attentif, ému. Cette prison où tu as connu la  
solitude et l'opprobre, mais qui t'a rendu libre. Puis ce furent les  
années lyonnaises où quelques familles, qui se reconnaîtront aisément,  
nous accueillirent avec le cœur, faisant fi des vents mauvais. Merci à  
tous nos amis qui sont ici présents, fidèles au rendez-vous.
 
A Lyon, nous avons découvert les joies de la vie ensemble, en famille,  
où nous avons essayé avec maman de chasser les ombres qui te  
hantaient, car elles devenaient aussi les nôtres. Fantômes de  
Buchenwald et de Languenstein, de Talung, de la RC4, de Dien Bien Phu,  
des djebels algériens…. Qu'ils étaient nombreux !! Nous n'y sommes  
jamais parvenues, mais peut-être les avons-nous tenus un peu à  
distance en t'entraînant dans le tourbillon d'une fratrie de quatre  
filles au sein de laquelle les cris, les rires, la joie et les larmes  
n'ont jamais manqué. Ta manière de nous guider dans la vie, toujours  
respectueuse, structurée, nous induisant à toujours donner le meilleur  
de nous-mêmes (viser au plus haut, s'estimer au plus juste…) s'est  
ancrée en nous. Ton exemple d'humanité, d'écoute, cette attention  
permanente à chacun, cette absence de jugement, cette fidélité totale  
à tous tes engagements, et ce jusqu'à ta mort, et surtout ta capacité  
à pardonner, cette faculté inestimable de résilience, nous ont  
marquées à jamais. Tu nous as appris, je te cite, 'que rien n'est  
acquis, que tout se construit, que la vie est un combat, et que si  
rien n'est sacrifié, rien n'est obtenu'. Tout un programme !! Exigent,  
avec beaucoup d'embuscades !!
 
Avec maman nous avons tenté de te suivre. Mission difficile, mon  
Commandant ! A travers nos amis, tu as noué ce lien particulier avec  
la jeunesse, cette force vive, afin de leur transmettre ta part de  
vérité et ce pour quoi tu t'es battu. Cette passion ne t'a plus  
quittée, c'est devenu ta raison d'être. Notre fratrie s'est ainsi  
élargie, combien de fils de cœur as-tu drainés comme un fleuve  
puissant et tranquille. Patriarche d'une belle et nombreuse  
descendance, tes vingt petits-enfants et trois arrières petits- 
enfants, sont là aujourd'hui pour reprendre le flambeau. Le couple que  
vous formiez avec maman, solide dans la tempête, est un ancrage  
inestimable pour eux. Maman qui, avec son sourire, sa joie de vivre,  
sa beauté, a réjoui ton cœur, a été un des piliers qui t'ont permis de  
survivre et de te reconstruire.

Tu as préféré la vérité aux honneurs, sacrifié ta carrière, ta  
réputation, voire tes amitiés. La miséricorde divine et ta volonté  
t'ont permis de mourir debout, comme tu as toujours vécu, comme tu 
l'as toujours souhaité : partir de tes chers Borias, au milieu de tes  
enfants et petits-enfants, la tête reposant contre un vieil olivier,  
apaisé. Tu as été exaucé. Ce petit mot retrouvé dans tes papiers :  
cette heure de départ, souhaitez-moi bonne chance mes amis. Le ciel  
est rougissant d'or, le sentier s'ouvre, merveilleux. Ne me demandez  
pas ce que j'emporte. Je pars en voyage les mains vides et le cœur  
plein d'attentes.
Laisse-nous maintenant te dire avec Goethe : " Meurs et deviens ".

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