Mon cher petit papa,
Pour tous ceux qui sont ici tu es indéniablement un grand homme. Pour
nous, tes quatre filles, tu es et tu resteras notre cher petit Papa.
Je vois ton sourire taquin et ton œil s'allumer, mais nous tes filles
ne sommes pas là pour glorifier tes faits d'armes. Tes compagnons
d'arme sont bien plus habilités à le faire. Et nous remercions tous
ceux, certains au prix d'une organisation chaotique, qui sont venus
aujourd'hui te rendre un dernier hommage. Tous ces frères d'armes,
vivants ou ombres disparues, ont bercé notre enfance puis notre vie
entière. Nous en croisions les sourires, les chagrins, les drames ou
les espoirs, au détour des couloirs de la prison de Tulle, de Lyon
puis des Borias.
à la garrigue, ton djebel provençal battu par le mistral, ton
monastère invisible où tu as passé de si longues heures à saluer le
lever de lune, à contempler la tour de Clansayes du haut de laquelle
la Vierge Marie, sentinelle éternelle, veille sur le Tricastin. Les
Borias, dernier repaire d'anciens légionnaires, qui débarquaient sans
crier gare, pour saluer leur commandant. Ils ont dressé pour nous
cette stature d'officiers que nous avons peu à peu apprivoisée, puis
admirée et comprise. Mais bien sûr, dans notre cœur, tu es avant tout
ce papa plein de tendresse et d'attention qui nous a toujours
accompagnées sans faillir. Même aux jours les plus noirs de la prison,
tu étais présent, attentif, ému. Cette prison où tu as connu la
solitude et l'opprobre, mais qui t'a rendu libre. Puis ce furent les
années lyonnaises où quelques familles, qui se reconnaîtront aisément,
nous accueillirent avec le cœur, faisant fi des vents mauvais. Merci à
tous nos amis qui sont ici présents, fidèles au rendez-vous.
A Lyon, nous avons découvert les joies de la vie ensemble, en famille,
où nous avons essayé avec maman de chasser les ombres qui te
hantaient, car elles devenaient aussi les nôtres. Fantômes de
Buchenwald et de Languenstein, de Talung, de la RC4, de Dien Bien Phu,
des djebels algériens…. Qu'ils étaient nombreux !! Nous n'y sommes
jamais parvenues, mais peut-être les avons-nous tenus un peu à
distance en t'entraînant dans le tourbillon d'une fratrie de quatre
filles au sein de laquelle les cris, les rires, la joie et les larmes
n'ont jamais manqué. Ta manière de nous guider dans la vie, toujours
respectueuse, structurée, nous induisant à toujours donner le meilleur
de nous-mêmes (viser au plus haut, s'estimer au plus juste…) s'est
ancrée en nous. Ton exemple d'humanité, d'écoute, cette attention
permanente à chacun, cette absence de jugement, cette fidélité totale
à tous tes engagements, et ce jusqu'à ta mort, et surtout ta capacité
à pardonner, cette faculté inestimable de résilience, nous ont
marquées à jamais. Tu nous as appris, je te cite, 'que rien n'est
acquis, que tout se construit, que la vie est un combat, et que si
rien n'est sacrifié, rien n'est obtenu'. Tout un programme !! Exigent,
avec beaucoup d'embuscades !!
Avec maman nous avons tenté de te suivre. Mission difficile, mon
Commandant ! A travers nos amis, tu as noué ce lien particulier avec
la jeunesse, cette force vive, afin de leur transmettre ta part de
vérité et ce pour quoi tu t'es battu. Cette passion ne t'a plus
quittée, c'est devenu ta raison d'être. Notre fratrie s'est ainsi
élargie, combien de fils de cœur as-tu drainés comme un fleuve
puissant et tranquille. Patriarche d'une belle et nombreuse
descendance, tes vingt petits-enfants et trois arrières petits-
enfants, sont là aujourd'hui pour reprendre le flambeau. Le couple que
vous formiez avec maman, solide dans la tempête, est un ancrage
inestimable pour eux. Maman qui, avec son sourire, sa joie de vivre,
sa beauté, a réjoui ton cœur, a été un des piliers qui t'ont permis de
survivre et de te reconstruire.
Tu as préféré la vérité aux honneurs, sacrifié ta carrière, ta
réputation, voire tes amitiés. La miséricorde divine et ta volonté
t'ont permis de mourir debout, comme tu as toujours vécu, comme tu
l'as toujours souhaité : partir de tes chers Borias, au milieu de tes
enfants et petits-enfants, la tête reposant contre un vieil olivier,
apaisé. Tu as été exaucé. Ce petit mot retrouvé dans tes papiers : A
cette heure de départ, souhaitez-moi bonne chance mes amis. Le ciel
est rougissant d'or, le sentier s'ouvre, merveilleux. Ne me demandez
pas ce que j'emporte. Je pars en voyage les mains vides et le cœur
plein d'attentes.Laisse-nous maintenant te dire avec Goethe : " Meurs et deviens ".
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